samedi 30 janvier 2010

Danpatsushiki d'Ôtsukasa

En ce samedi 30 janvier, l'ancien maegashira Ôtsukasa (38 ans, Irumagawa) a sacrifié le symbole de son statut. Rassemblées au Ryôgoku Kokugikan, trois cents personnes ont participé à la coupe de son ôichô-mage. Parmi elles Asashôryû, Hakuhô et bien sûr Irumagawa oyakata (ancien sekiwake Tochitsukasa) qui a donné le dernier coup de ciseaux (photo). "Je porte le mage depuis novembre 1993 alors j'ai l'impression d'être plus léger. C'est un peu désagréable parce que jusqu'à maintenant mes cheveux étaient attachés à l'arrière." a déclaré l'ancien rikishi après être passé entre les mains d'un vrai coiffeur.
Petit gabarit d'1,75 m, Ôtsukasa s'est retiré des dohyô au 14ème jour du Haru basho 2009. Il était classé E-J12 et n'avait gagné qu'un combat. Issu du club de sumô de l'université Nichidai, il avait fait ses débuts en mars 1993, en tant que makushita 60 tsukedashi. En janvier 1996, il était devenu jûryô, puis makuuchi en septembre 1999. Il a remporté un yûshô en makushita et deux en jûryô. A partir de son entrée en makuuchi, où il a passé trente tournois et atteint le grade maximal de O-M4, il n'a fait qu'aller et venir entre cette division et la division jûryô. Avec un score de onze, il est classé troisième au classement du nombre d'accessions à la division suprême depuis l'ère Shôwa.
Wakafuji oyakata depuis son intai, il fait aujourd'hui partie de l'encadrement de l'Irumagawabeya : "J'ai fait ce que j'avais à faire jusqu'à 38 ans. Je n'ai pas pleuré [c'est très fréquent  lors de cette cérémonie] aujourd'hui parce que je n'ai pas de regret. Maintenant, je veux former des rikishi qui ont de l'ambition."

A propos d'Asashôryû

Asashôryû est un très grand rikishi. Il n'est pas yokozuna pour rien. Asashôryû est aussi un homme dont les incartades intra et extrasportives sont récurrentes. L'historique n'en sera pas dressé ici. Rappelons simplement que fin 2008, l'épée de Damoclès était à quelques millimètres de trancher son mage.
La presse de bas étage japonaise en fait ses choux gras, comme toute presse de bas étage le fait avec n'importe qui dans le monde entier. Comme tout personnage de ce type, Asashôryû a ses fervents admirateurs et ses fervents détracteurs.
Depuis que Hakuhô est sur le devant de la scène, le contraste est évident et on  a pu sentir que la NSK jouait sur cette opposition. On sait aussi que cette opposition opère une certaine attraction sur le public, qui n'est pas toujours aussi dupe que ça.
Un des arguments avancés contre Asashôryû est lié au caractère particulier du sumô, le sport national, emblématique, chargé de valeurs spirituelles... Bref, un yokozuna se doit de porter haut et dignement toute cette symbolique. Ou en tout cas faire comme si...
Asashôryû ne joue pas vraiment le jeu, c'est indéniable. Mais il convient de faire la part des choses. Quand Asahôryû prend son kenshô-kin (enveloppes contenant l'argent des sponsors, remises au vainqueur d'un combat) de la main gauche, on se dit que c'est puéril (stupide?) mais qu'il n'y a pas mort d'homme et que l'essence du Japon n'est pas bafouée ni mise en péril. Quand Asahôryû déclare forfait pour un jungyô (tournée provinciale) pour cause de blessure et joue au football devant les caméras mongoles, on se dit que là non plus ce n'est pas très malin, pas très correct sur le plan sportif mais que là non plus les choses ne doivent pas forcément aller plus loin que des sanctions internes (qui ont été infligées) et quelques posters de chambres d'adolescents décrochés et déchirés. Quand Asashôryû lève les bras et montre sa joie d'avoir remporté l'Aki basho en septembre 2009 (au terme d'une année qu'il avait commencée très près de l'intai), on se demande pourquoi on le lui reproche (ah oui, un rikishi digne de ce nom, a fortiori un yokozuna, doit rester impassible en toutes circonstances). On se dit même que le sumô ne perdrait rien à assimiler ce genre d'évolutions plutôt bon enfant.
La tourmente que traverse actuellement Asahôryû est d'un autre ordre.  Vers quatre  heures du matin le samedi 16, première semaine du Hatsu basho, le yokozuna, pris de boisson, aurait frappé un employé de restaurant, qu'apparemment il connaissait, lui fracturant  le nez. Quand l'affaire a été révélée, l'entourage d'Asashôryû a minimisé la chose. On a menti sur l'identité de la victime... Bref, depuis quelques jours une certaine presse se déchaîne, l'opinion publique (du moins une partie de celle qui se sent concernée par le sumô) lui emboîte le pas... Du côté des instances du sumô, certaines voix s'élèvent avec sévérité. Hakuhô a déclaré que si les faits étaient vrais, son collègue devait s'excuser, qu'on leur apprenait que les mains d'un rikishi étaient des katana et qu'ils ne devaient frapper personne. Les rumeurs de licenciement, de démission forcée, ..., se font de plus en fortes. Quoi qu'il en soit, la NSK décidera et chacun devra faire avec. Rien de très inhabituel finalement. Mais la police est aussi sur l'affaire, la victime s'étant décidée, selon ses propres paroles, à demander conseil et à donner suite devant l'absence d'excuses de la part d'Asashôryû. Il n'a cependant pas encore porté plainte. Le yokozuna et sa victime devraient être entendues de façon informelle pour l'instant.
Car voilà, ce qu'on pense du fait de frapper un individu, et de lui casser le nez, n'est pas une question de point de vue et ne relève pas du sport, de la grandeur du sumô, du Japon, etc. Sauf circonstances particulières, c'est un acte répréhensible et même illégal, qui en a conduit plus d'un au poste de police voire plus, non ? A la limite, on peut dire que l'activité professionnelle du coupable n'a rien à y voir (si ce n'est qu'un yokozuna est a priori plus puissant que le moyenne donc plus dangereux), pas plus que ses employeurs. En tout cas, ses employeurs n'ont pas plus à y voir parce qu'il est yokozuna plutôt qu'employé de banque. Le sumô, le Japon, leurs valeurs n'ont rien à voir là-dedans. La morale humaine oui. Et peut-être la loi.
Pour ce qui est de la morale du sport professionnel, rappelons que l'équipe de France de football disputera la Coupe du Monde, avec Thierry Henry. Rappelons que Tiger Woods a perdu des sponsors parce qu'il a commis l'adultère.
Les sportifs jouent le jeu de la starification et des revenus outranciers et encaissent argent et gloire. Alors on peut ne pas les plaindre quand ils sont cloués au pilori, même pour des raisons d'ordre privé. Après tout, on ne peut prétendre avoir le beurre, l'argent du beurre et bien souvent le sourire de la crémière. Ils savent très bien ce qu'ils vont représenter en endossant leur tenue de sportif professionnel et que c'est aussi en raison de ce qu'ils représentent que certains gagnent autant d'argent.
Mais c'est un peu facile de s'arrêter là. Chacun de nous est responsable de ce que les sportifs représentent. Quand une marque d'équipement sportif fait une campagne axée sur la côté "mauvais garçon" d'un footballeur (Nike et Cantona je crois), c'est parce qu'elle sait que le public y sera sensible et que ça lui rapportera de l'argent. Il y a quelques mois, Fanta a lancé une campagne de pub avec Asashôryû. Alors, mauvais garçon, pompe à fric, les deux, ou quelque chose de plus pervers ? Comme un exutoire pour une partie un peu sombre de certains d'entre nous.
Dans un autre domaine, on peut rappeler l'émotion qu'a causée la mort de Diana, et le procès fait à la presse people et aux paparazzi. Hors, depuis, les tabloïds, qui à l'époque sévissaient plutôt outre-Manche, n'ont cessé de fleurir en France. Ceux qui lisent ces torchons indignes des toilettes au fond du jardin ne sont-ils pas ceux qui ont béatifié la lady D. ? Sans parler de la télé-réalité (quelle réalité d'ailleurs ?). Et de ce qu'engendre aussi internet (je buzze, tu buzzes, nous buzzons, ...).
Les rouages économiques sont évidemment complexes (je ne regarde plus ni le foot ni le tennis et C.Ronaldo et Federer s'en fichent pas mal), mais, en fin de compte, il y a quand même des individus qui achètent des tabloïds, qui achètent des tenues de tel ou tel sportif... Ca doit jouer un rôle, non ? Au moins moral.
Il y a aussi des gens qui font des blogs sur le sumô.
J'aime le Japon, j'aime la langue japonaise, j'aime aussi le sumô. Mais je ne suis pas dupe de ce qu'est le sumô. Ni les rikishi. Le sumô est un sport, c'est tout. Les rikishi des humains, c'est tout. Je prends plaisir à les voir combattre, exécuter une prouesse technique. Ce sont des gens doués pour faire quelque chose et qui travaillent sûrement très dur. Mais ce ne sont pas des héros. Et leur talent, aussi grand soit-il, ne justifie rien, ne les met au-dessus de rien.
Et quand j'écris un sujet sur une recrue de 15 ans, un enfant en fait, je me souviens de SAITÔ Takashi, mort en juin 2007, deux mois après avoir intégré une heya. Il avait 17 ans et est mort sous et par les coups de son maître et de certains de ses condisciples. Maître qui a tout fait pour que cette mort passe pour un accident. Et je sais que ces pratiques n'ont peut-être pas totalement disparu. Que ceux qui les ont subies les font peut-être subir à leur tour. Je me pose aussi des questions devant Chiyotaikai, un jeune homme de 33 ans qui a l'air  bien abîmé. Je me souviens aussi d'un été au Japon, une télé allumée très tard le soir et Akebono, l'ancien yokozuna, se faisant humilier en K1.
Je n'attends rien des sportifs de haut niveau, si ce n'est ce plaisir totalement subjectif et sans lequel je peux vivre. Je suis sûre que le sport peut véhiculer des valeurs essentielles mais pas le sport pompe à fric, sans morale et qui oublie qu'il n'est que ce qu'il est. Je suis sûre aussi que ces valeurs n'ont pas besoin du sport pour être véhiculées. Que notre comportement quotidien peut les véhiculer bien mieux que tous les yûshô de l'histoire du sumô.
Alors aujourd'hui, devant les mésaventures d'Asashôryû, je rechigne à lire les articles. Non que je me voile la face sur certains aspects du sumô. Je me dis simplement que, si les faits rapportés sont vrais, c'est un homme qui en a frappé un autre et qui assumera ses actes, qui n'ont rien à voir avec le sumô, le rôle de yokozuna, le Japon, sa grandeur, et tutti quanti. Et que les relents de curée sont toujours écœurants.
J'avais décidé de ne pas parler de cette histoire, si ce n'est pour rendre compte des décisions qui seront prises. Et puis je me suis dit que le fait d'avoir créé ce blog, qui même s'il est insignifiant et n'est lu par personne est public et potentiellement accessible à tous, nécessitait de "prendre mes responsabilités" et de définir un genre de ligne de conduite implicite. Mes propos sont peut-être un ramassis de lieux communs, de naïvetés, j'assume. Et j'assume de ne pas parler de tout à l'avenir, même si je ne suis pas (trop) dupe.
Ceci est le premier et probablement le dernier billet d'humeur de ce blog.